PAUL GAUGUIN (1848 - 1903)
-« NEVERMORE » (1897) 60x116 cm.
Courtauld Institute Galleries - Londres.
Le cheminement de Gauguin, tout au long de sa vie, semble s’être cristallisé sur la recherche d’un « Eden perdu », qui lui avait sans doute cruellement fait défaut dans sa plus tendre enfance, du fait d’avoir perdu son père lors d’une escale maritime sur le chemin du Pérou alors qu’il n’était âgé que d’un an.
Plus tard à 17 ans il s’embarque dans la marine marchande, il fait ensuite son service militaire dans la marine, c’est dire si l’appel du large est puissant, et se manifestera beaucoup plus tard par deux séjours prolongés à Tahiti, qui s’avéreront capital dans son œuvre.
Même si entre temps ses séjours en Bretagne ont été fructueux sur le plan de la création artistique, il est indéniable que Gauguin a beaucoup plus été subjugué par les polynésiennes que par les bigoudens de Pont-Aven !
C’est sous les tropiques que sa palette s’est embrasée avec une fluorescence chromatique singulière, où le plus souvent des femmes indigènes réalisées avec un primitivisme délibéré prospèrent au milieu d’une nature flamboyante.
D’une certaine façon il s’agit pour le peintre d’un retour aux sources et par la même occasion une fuite en avant vers le paradis perdu, pour se libérer d’une société européenne trop contraignante.
Gauguin tente de s’intégrer avec plus ou moins de succès au nouveau monde dans lequel il s’est plongé, et les vahinés vont commodément le gratifier, avec leur ingénuité innocente et naturelle, de cette forme de métissage dont il est à la recherche ; cela se traduira par de multiples liaisons, alors qu’il laisse femme et enfants au Danemark.
Pour bien saisir la situation il y a lieu d’examiner la société polynésienne de l’époque qui reste encore relativement primitive, où la sexualité est totalement libre et où les vahinés dés leur plus jeune âge sont initiées aux relations sexuelles avec le plus souvent tous les hommes du village, sans contrainte et avec toute absence de sentimentalité ; Gauguin décrit lui-même ce milieu ainsi :
« Toutes les nuits des gamines endiablées envahissent mon lit, j’en avais hier trois pour fonctionner ! ».
Il terminera son épopée artistique et érotico tropicale aux Îles Marquises où il construira la « Maison du jouir », formule révélatrice de son hédonisme….
C’est au cours de son second séjour à Tahiti qu’il a réalisé sa toile « Nevermore », dans laquelle il peint sa compagne du moment Pahura, âgée d’une quinzaine d’années, avec laquelle il aura d’ailleurs deux enfant.
Il qualifie lui-même ainsi cette œuvre : « j’ai voulu avec un simple nu suggérer un certain luxe barbare d’autrefois » ; indiquant par ailleurs à propos du titre : « Nevermore", non point le corbeau d’Edgar Poe, mais l’oiseau du diable qui est aux aguets….. ».
Ce grand corps cuivré illustre parfaitement l’exotisme féminin indigène harmonieusement épanoui et repu, grâce à une pose allongée d’un naturel un peu primitif
Mais c’est sans doute dans le regard oblique planté au milieu de ce nu que Gauguin parvient parfaitement à saisir et exprimer tout le mysticisme océanien qui devait le fasciner.
Le nu contraste pourtant singulièrement avec le décor intérieur dans lequel il est situé, et où l’on peut apercevoir l’oiseau posé sur le bord de la fenêtre guettant sa proie, évoquant ainsi le corbeau du poème d’Edgar Poe du même nom dont le leitmotiv n’était autre que « Nevermore, nevermore, c'est-à-dire « jamais, plus jamais ».
L’équivoque est telle, malgré les explications du peintre, qu’on est en droit de se demander dans quelle mesure Gauguin n’a pas souhaité se représenter lui-même sous la forme de cet oiseau du diable ?
Cette œuvre magistrale, où la nudité féminine est traitée d’une manière sereine et sous des formes parfaitement apaisées aurait beaucoup impressionné Picasso ainsi que Matisse lorsqu’elle fut présentée à l’exposition Gauguin du Salon d’automne en 1906 ; du reste elle aurait aussi bien pu être intitulée : « Luxe, calme et volupté ».
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